Helga Walbaum (1926-2020) – Une vie mouvementée

Helga Walbaum


Helga Walbaum, 2008Née le 29 septembre 1926 à Cologne, Helga est la fille unique de Philippe et Catherine Walbaum. Ses parents sont catholiques mais son père est un juif converti. Se sentant en danger dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933 et surtout à la publication des lois raciales de Nuremberg en 1935, la famille décide de quitter l’Allemagne. Son père, directeur commercial à l’exportation, ayant des relations en France, c’est naturellement vers la France que la famille se tourne. Helga (12 ans) s’installe à Paris en 1938 avec ses parents. Ne parlant pas Français, elle ne peut intégrer une école française.

Première rencontre avec l’Abbé Stock.

Sur le conseil d’un ami prêtre, la famille contacte l’Abbé Stock, recteur de la paroisse allemande de Paris, rue Lhomond (Paris 5è). Pour permettre à Helga d’apprendre le Français, l’abbé conseille aux parents d’inscrire leur fille à l’école allemande où sont regroupés les enfants de l’Ambassade d’Allemagne. Les cours sont dispensés dans un immeuble situé 78 rue de Passy (Paris 16è).L’Abbé Stock y donne des cours de religion. Helga garde le souvenir d’un professeur un peu intimidant « assez sévère mais juste » mais très vite l’Abbé Stock devient un ami de la famille. Passionné par la Bretagne, l’Abbé Stock leur propose de découvrir cette région qu’il affectionne particulièrement. En juillet 1939, ils passent quelques jours ensemble à Pentrez, près de Douarnenez dans le Finistère. La guerre va bouleverser brusquement cette relation privilégiée.

Seuls face à l’adversité

A la fin août 1939, sur ordre de l’Ambassade d’Allemagne, l’Abbé Stock doit quitter ses fonctions de recteur à Paris et regagner l’Allemagne. Lorsque la guerre entre la France et l’Allemagne est officiellement déclarée le 3 septembre, la situation se complique pour la famille Walbaum. Pour échapper au camp de travail, le père d’Helga choisit d’intégrer la Légion Etrangère et part en opération en Afrique du Nord. Revenu en permission, il se présente (avec son képi blanc) à la mairie du 16è arrondissement pour demander l’inscription de sa fille dans une école française, ce qui lui est accordé. Malgré les vexations générées par son origine allemande, Helga y trouve l’occasion d’améliorer son Français.

Quand, après la débâcle, les Allemands entrent dans Paris en juin 1940, l’abbé Stock n’est plus là depuis des mois. Helga et sa mère se réfugient chez des amis. Le 14 juin, en traversant l’avenue de Wagram pour rejoindre leur domicile, elles assistent par hasard au premier défilé des troupes allemandes place de l’Etoile. La mère d’Helga reconnait la musique militaire : la Badenweiler Marsch, l’air préféré d’Hitler. Sous le choc, elle s’évanouit. Helga aide sa mère à regagner leur domicile rue de Longchamp. Dans leur appartement, elles découvrent leur concierge affairée à faire l’inventaire de leurs provisions.

À la recherche d’un refuge

Démobilisé après l’armistice (22 juin 1940), son père est autorisé par les autorités à entrer en France à condition qu’il puisse justifier d’un domicile en zone libre. Il prend alors contact avec un ami de Limoges qui lui trouve une ferme à Vimpère (40 km de Limoges). La mère d’Helga multiplie les démarches auprès de l’Ambassade d’Allemagne pour obtenir un laissez-passer. En vain. L’administration allemande considère son mari comme un « déserteur ». Une seule solution : traverser clandestinement la ligne de démarcation. Dans un premier temps, Helga (14 ans) prend en charge le déménagement. Quelques jours plus tard, avec l’aide de passeurs, sa mère réussit à la rejoindre en zone libre. La famille se retrouve enfin au complet à Vimpère et s’intègre discrètement à la population locale. Pour subvenir à leurs besoins, ils élèvent des poules, des lapins, des moutons et des chèvres. Helga découvre les joies et les servitudes de la vie campagnarde.

Première arrestation

Le 11 novembre 1942, en réponse au débarquement anglo-américain en Afrique du Nord, Hitler décide d’envahir la zone libre. Pour la famille Walbaum, l’inquiétude grandit d’autant plus que la résistance s’organise dans la région de Limoges, augmentant le risque de représailles sur la population civile. Le 1er novembre 1943, une traction noire s’arrête devant leur portail. Les Allemands sont à la recherche d’un « certain Philippe » et lui demandent ses papiers. Philippe Walbaum n’est pas l’homme recherché mais son passeport allemand porte en rouge la lettre J comme « juif ». Il est immédiatement arrêté. Incarcéré d’abord à la prison de Limoges, il est ensuite transféré le 24 mars 1944 au camp de Drancy. Pour lui, la déportation est plus que probable.

Nouvelle intervention de Stock

La famille affolée prend contact avec l’abbé Stock qui a repris ses fonctions à la paroisse allemande de Paris depuis le 13 août 1940. Elle ne sait rien de ses activités comme aumônier de prisons qu’il exerce en parallèle depuis août 1941. La seule façon de sauver Philippe Walbaum de la déportation, c’est d’apporter la preuve qu’il est bien de confession catholique et non juive. Profitant d’un voyage dans sa famille à Neheim, l’abbé Stock se rend à Cologne et parvient à obtenir le précieux document : un « certificat de non-appartenance à la race juive» qu’il transmet immédiatement à la famille. Helga ne cessera d’exprimer sa gratitude à l’Abbé Stock d’avoir ainsi « sauvé son père ». Les ennuis ne sont pas terminés pour autant.
Le père d’Helga est envoyé dans un camp de travail dans le Pas de Calais où les Allemands dressent les premiers bunkers du Mur de l’Atlantique (organisation Todt). Pendant ce temps, Helga et sa mère assurent la tenue de la ferme de Vimpère. Les évènements se précipitent en 1944 avec le débarquement allié et la libération progressive du territoire français.

Soupçonnées d’espionnage

Le 19 août 1944, des résistants FTP de la région de Limoges viennent arrêter Helga et sa mère. Etant toujours de nationalité allemande, elles sont considérées comme « des ennemis des Français » et soupçonnées d’espionnage. Elles sont transportées en camion dans l’école d’un village voisin pour être interrogées. Helga est séparée de sa mère et enfermée dans un sous-sol. Les résistants font pression sur la mère d’Helga pour qu’elle livre ses contacts. Devant les dénégations répétées de la mère d’Helga, les résistants lui proposent un marché : « Si vous ne donnez pas vos contacts, on va fusiller votre fille sous vos yeux ». Helga est sortie de sa cave, plaquée contre le mur avec une feuille de papier à cigarette dans le dos à l’endroit du cœur… Helga entend les mitraillettes qu’on charge dans son dos : « On va compter jusqu’à 10 » et le décompte commence. Paradoxalement, Helga reste calme : « Je voulais que ça aille vite » se souvient-elle. Bizarrement, alors qu’on vient de prononcer le nombre 8, un résistant fait irruption dans la pièce : « Arrêtez tout ! Il faut qu’on aille aider Guingouin (chef du maquis limousin) à libérer Limoges ». Avant de partir, un résistant laisse tomber « Excusez-nous Mesdames ! ». Helga n’oubliera jamais cette phrase. Elle servira d’ailleurs de titre à un livre (1) où elle raconte ses souvenirs. Grâce à des amis et avec beaucoup de précautions, Helga et sa mère parviennent de nuit à regagner Vimpère. Une surprise de taille les attendait quelques semaines plus tard.

Le retour du père

Le 4 octobre 1944, en rentrant dans leur maison et en allumant la lumière, elles découvrent … M. Walbaum assis tranquillement dans son fauteuil. Il avait forcé un volet pour rentrer chez lui. Après l’euphorie des retrouvailles, les nerfs lâchent : Helga commence une dépression nerveuse. La vie commune reprend malgré tout.

À nouveau arrêté

Quelques mois plus tard, le 1er mai 1945, une voiture de la DST de Limoges s’arrête devant le portail de la ferme. M. Walbaum est accusé cette fois de « collaboration avec les Allemands ». Malgré les protestations d’Helga et de sa mère, il est à nouveau incarcéré dans la prison de Limoges. Cet emprisonnement sera de courte durée. Le témoignage d’un ancien résistant torturé et jeté ensanglanté dans sa cellule est décisif : M. Walbaum avait déchiré sa chemise pour soigner ses blessures : « Sans lui, je serais mort aujourd’hui » affirme aux autorités l’ancien résistant devenu entre-temps maire de son village.

L’avenir d’Helga

Pour la famille à nouveau réunie, la situation d’Helga reste préoccupante : comment assurer son avenir professionnel alors qu’elle n’a pas de formation ? Helga souhaite se rendre à Paris mais ses parents sont réticents. Grâce à des relations, elle trouve un emploi de « baby-sitter » dans une famille parisienne mais la situation reste précaire. Sur les conseils de son père, elle s’inscrit dans un centre de formation pour devenir secrétaire puis entre dans le service publicité de la Vie Catholique.
Un emploi qu’elle gardera jusqu’à sa retraite.

Le dernier Noël avec l’abbé Stock

En juin 1947, la famille retrouve avec bonheur l’abbé Stock à Paris. Fait prisonnier par les Américains à la libération de Paris, il a passé de longs mois dans le camp de prisonniers de Cherbourg avant de fonder le « Séminaire des Barbelés » à Orléans puis à Chartres. À la fermeture du séminaire, l’abbé Stock a pu regagner Paris mais il garde le statut de prisonnier et ne peut circuler qu’en Ile de France. Il souhaite s’occuper des anciens prisonniers allemands qui veulent rester en France et organiser pour eux une aumônerie. Avec toutes les épreuves qu’il a traversées, sa santé s’est sérieusement dégradée ; il souffre de malaises cardiaques et de solitude loin de ses chers séminaristes. La famille Walbaum l’invite à passer les fêtes de Noël avec eux. Trop fatigué, il renonce à les accompagner à la messe de minuit : « Je reste avec vous en union de prières » confie-t-il. Mais la veillée qui suit lui permet de retrouver la chaleur d’un foyer. Quelques jours plus tard, il adressera une lettre de remerciements à la famille Walbaum qu’Helga conservera précieusement. Ce sera son dernier signe de vie.

Deux mois plus tard, le 28 février 1948, l’abbé Stock meurt d’une crise cardiaque à l’hôpital Cochin. Il avait 43 ans.

Témoigner

Pour Helga, le souvenir de l’abbé Stock marquera toute sa vie. Sur un mur de son appartement parisien, elle a accroché un des nombreux tableaux qu’il a peints de la Bretagne. Il représente la baie de Pentrez, un souvenir commun, un lien secret entre leurs deux existences comme un message d’amour et d’espoir.

Pour entretenir sa mémoire, Helga a intégré l’association des Amis de Franz Stock. Elle était d’ailleurs membre de son conseil d’administration. En même temps, elle n’hésitait pas à témoigner chaque fois qu’on évoquait son nom. L’homme qui a « sauvé son père » est devenu avec le temps un ami fidèle qui a accompagné toute sa vie.

Le dernier rendez-vous

Le dimanche 27 septembre, dans le cadre de l’émission « Le Jour du Seigneur » diffusée sur France 2, la messe était célébrée en direct au Séminaire des Barbelés, dans la chapelle peinte par l’abbé Stock. Contrairement à ce qu’elle avait dit précédemment, Helga a tenu à faire le déplacement. Malgré sa fatigue et sa déambulation hésitante, elle sentait peut-être un appel supérieur à sa propre souffrance. Elle a tenu à être au rendez-vous.

Pour tous ses amis, son visage reste désormais associé à celui de Franz Stock dont la trajectoire lumineuse a éclairé sa vie et la nôtre.

Helga est décédée le 9 octobre 2020 à l’hôpital Broca, munie des sacrements de l’Eglise.

Daniel Godard
1) « Excusez-nous Mesdames », roman écrit par Richard Pilloy à partir des souvenirs d’Helga (éditions L’Harmattan – 2019)